Le salaire de la peur...
mai 12, 2017Sachez que je ne vais pas parler du film de 1953. C'est juste l'idée que m'évoque le contenu de cet article. Connaissez-vous le Mean World Syndrome ? En français, le "Syndrome du méchant monde". C'est un concept développé par le professeur en communication hongrois George Gerbner.
Ce principe découle d'une étude qui démontre que plus les gens observent des images violentes dans les médias de masse, plus ils sont convaincus que le monde qui les entoure est dangereux.
Monsieur Gerbner fut l'un des premiers à questionner l'influence des médias sur la psychologie humaine et les conséquences des différents traitements médiatiques de l'information.
C'est un sujet passionnant, car il nous renvoie à l'image que nous avons de notre environnement. De plus, il nous permet de nous questionner sur la manière dont nous sommes soumis à l'impact des médias dans notre vie de tous les jours.
Si cette étude en particulier vous intéresse, vous êtes libres d'aller vous renseigner, car je ne vais pas la détailler. Partant de cette recherche, on peut s'interroger sur plusieurs choses...
Tout d'abord, il est à noter que la part d'informations anxiogènes et violentes ont largement augmenté dans les informations. On nous montre des images de manifestations qui dégénèrent, de catastrophes climatiques, de problèmes de délinquance, d'immigrés causant des problèmes aux riverains, d'interminables bouchons sur les routes, des maladies, etc.
Est-ce que notre monde est véritablement plus violent parce qu'on nous le montre, et quel décalage y a-t-il entre la réalité palpable de notre quotidien et les images diffusées à la télévision ?
Les chiffres de l'Ina démontrent une augmentation de la diffusion des faits divers (règlements de comptes sanglants, conflits urbains, incendies, enlèvements d'enfants, etc.) dans les journaux du soir, principalement sur les chaines de TF1 et M6, qui consacrent entre 6 et 10% du contenu de leur journal à ce type d'information. La majeure partie des faits divers concernent des situations d'attaque à la personne et de délinquance alors qu'une infime proportion traite de faits heureux.
Si on se contente d'observer les images effrayantes qu'on nous expose, on est amené à croire que le monde va de plus en plus mal. Étrangement, les chiffres diffusés par l'Observatoire National de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) indiquent non seulement qu'il n'y a aucune augmentation des faits de délinquance, pire, c'est souvent le contraire qui est observé.
Par conséquent, on peut être en droit de se demander pourquoi les journaux veulent à ce point nous effrayer. Premièrement, il y a un intérêt étatique à ce que les gens aient peur. La peur vous permet de mieux accepter les mesures qui pourraient mettre à mal vos libertés individuelles et collectives. Il n'y a qu'à voir comment l'installation de caméras dans les espaces publiques n'a fait que progresser, là où les gens affichaient une forte opposition lors des précédentes décennies.
De plus, en ciblant les conséquences des problèmes à coups d'images chocs, on ne prend pas le temps de traiter leurs causes, ni de permettre aux gens d'y réfléchir. Les images défilent et la voix off désabusée vous lancine comme un mal de dent.
Il faut savoir que la peur affecte la partie du cortex frontal, une zone de notre cerveau qui nous permet d'utiliser une pensée critique et rationnelle. Résultat, un homme effrayé répond plus logiquement par l'instinct... et souvent l'instinct de survie.
Cela encourage plusieurs choses: Une forme de soumission, un rejet de ceux qui causent les problèmes et une augmentation de la consommation. Vous allez me dire, la soumission d'accord, le rejet aussi, mais que vient faire la consommation là-dedans ?
Eh bien c'est justement lié à l'instinct de survie. Une nature plus animale qui nous habite et qui nous pousse, lorsqu'on a peur, à faire des provisions pour se rassurer. En acquérant des possessions, on a l'impression de se mettre à l'abri.
En sociologie, il existe ce qu'on appelle la Terror Managment Theory (Théorie de la gestion de la terreur), qui vise à démontrer que la peur de la mort incite des comportements de forte consommation (alimentation, objets, sexe), de nationalisme et de discriminations en tous genres. C'est par ailleurs la base de nombreuses religions, qui en ont fait leur fond de commerce durant des millénaires, mais ce n'est pas le sujet.
Si on accorde un peu d'attention à toutes ces données, on peut conclure que la peur communiquée dans les médias nous conduit à des réactions irrationnelles. C'est là qu'intervient la publicité. Placée avant et après votre journal télévisé, on vous rassure avec divers produits, souvent liés de près ou de loin aux sujets évoqués dans les "informations".
Si on réfléchit, un média télévisé est presque toujours financé par de la publicité ou des lobbys. C'est pourquoi les journaux doivent captiver l'attention des spectateurs avec du sensationnel, et ce, même quand l'actualité ne propose rien d'important. D'une forte pluie en Bretagne, ils titrent : "La Bretagne sous les eaux" et sortent des images d'archives d'impressionnantes crues. Quid de la réalité ? Peu importe, car ils vous présenteront un article sur un parapluie révolutionnaire qui résiste à des vents violents. J'exagère à peine.
Ils créent de l'information ou l'enjolivent pour répondre à des besoins d'audience. En 2014, une preuve accablante de cette mauvaise manipulation médiatique avait pourtant été soulevée suite à un épisode d'Envoyé Spécial sur France 2, décrivant le quartier de Villeneuve à Grenoble comme un ghetto. L'information avait été complètement exagérée et la communauté avait même déposé une plainte pour diffamation à l'encontre de France Télévision. Si vous voulez vérifier l'info, je vous suggère de lire cet article de l'ACRIMED à propos de cette affaire.
Il y avait eu un cas similaire lors des problèmes sanitaires et sociaux survenus après l'ouragan Katrina en Nouvel Orléans. Les autorités avaient véhiculé des informations communiquées par les médias sans les vérifier, causant ainsi une peur panique inutile au sein d'une population déjà très souffrante.
Bref, ce que je voulais dire avec cet article, c'est qu'il ne faut pas croire tout ce qu'on nous dit dans les journaux, car leurs intérêts ne sont pas les nôtres. La peur nous empêche d'y voir clair et y céder revient à accepter d'être traité comme une marchandise.
N'oublions pas qu'on appelle aussi les médias, le quatrième pouvoir, qui oublie bien trop souvent son rôle de contre-pouvoir. Il faut se rappeler que la quasi totalité des médias est possédée par des groupes de milliardaires puissants, qui doivent sans doute trouver une utilité à cela... et cette utilité n'est pas financière, puisque beaucoup d'entre eux ne sont pas toujours rentables.
La gestion de la peur est la clé du contrôle. Quelques personnes bien placées ont tout à fait compris cela.
C'est cela aussi, le salaire de la peur...
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